Associer la tragédie au langage peut paraître curieux "au premier abord". Pourtant, je m'aperçois depuis quelques temps que des locutions précises altèrent mon attention voire m'expulsent d'une conversation, d'un raisonnement, je ne peux plus penser à autre chose qu'à ces "locutions-eject" qui reviennent régulièrement et semblent signifier autre chose que ce pourquoi elles sont utilisées. Ce sont pourtant des associations de mots qui ne veulent rien dire en elles-mêmes mais qui articulent un discours d'une certaine manière et cette manière ou celle que je suppose telle prend chez moi le pas sur le sens jusqu'à l'effacer, l'éradiquer alors ces locutions tonnent, tournoient dans mon esprit, frappent comme des éclairs dans ma boîte crânienne et font gémir des pluies de neurones qui voudraient bien sortir de cette gluante prison d'os. A chaque écoute je les redoute, elles peuvent arriver là, n'importe quand, dans des articles ou des conversations, en écoutant la radio, en regardant la télévision, sur youtube ou dailymotion et quel que soit l'intérêt de ces articles ou conversations, elles les condamnent à l'oubli voire pire, elles impriment ma mémoire -cette compagne dont la flamme de la fidélité vacille sous le souffle du temps- que telle personne ou tel article a osé en user à telle occasion. Je ne ferais pas de liste exhaustive mais en voilà deux qui me font cet effet là : "quand bien même" et "en ce sens que". Elles sont aussi utilisées par des journalistes et je les entends quasiment à chaque fois qu'ils les emploient s'acrrocher à elles comme à de solides poutres. L'accent est mis sur elles même si la langue française n'est pas une langue à accents ou à tons tandis que le reste de la phrase, le sens, la chair ou ce qu'il en reste, écrasé par ces poutres, coule tranquillement vers le fleuve de l'oubli ; ces locutions flamboient là-haut en suspension peut-être accrochées comme des luminaires au palais de la langue que l'on voudrait châtiée et s'imposent fières d'elles-mêmes comme si les utiliser suffisaient, le reste n'étant que décorations, ornements, l'outil devient matière, le moyen de production le produit, l'essentiel est là quand bien même...La contamination se poursuit et chez moi comme la tragédie elle exprime terreur et pitié, rien de moins. J'ai remarqué que ce sont plus souvent les expressions argotiques, populaires ou le "parler banlieue" qui ont un effet particulier plus répandu pouvant faire penser à une haine de classe ou de race(parfois la même chose dans la France d'aujourd'hui) sous couverture de défense de la langue. Est-ce similaire à ce que je ressens : une haine de classe de ceux qui veulent "parler bien" et use de ces locutions si souvent que je me demande ce qu'elles cachent, ce qu'elles disent vraiment sous le discours apparent. S'exprimer dans une langue correcte ne me gêne pas, même soutenue pour ceux qui savent la manier mais je crois que ces locutions me sortent des yeux par leur laideur quelque chose que je ne peux pas vraiment expliquer, sournoises locutions qui s'infiltrent dans mes oreilles pour venir me gratter la cervelle et provoquer des démangeaisons. C'est peut-être juste leur fréquence d'utilisation qui me gêne comme les expressions trop souvent utilisées ("ça le fait" quelques années en arrière, "c'est du lourd" aujourd'hui) mais non, le cas des deux locutions citées auparavant provoque vraiment un effet différent, elles ne m'agacent pas juste par leur répétition, elles disent autre chose, elles sont comme des miroirs et je suis un vampire. Je fais peut-être erreur, ce sont peut-être des locutions vampiriques ou utiliser comme telles pour vider la substance de la langue.

photo du film "The addiction" Abel Ferrara

La tragédie du langage

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