Défaite agaçante, victoire stérile, le jeu n'en vaut pas la chandelle, le jeu est la chandelle. Rien ne brille autant que lui : le soleil peut aller se rhabiller, la télé souvent ringarde et stupide court après le web pour se rendre intéressante, l'envie de sexe ne me fait plus lever le petit doigt de la souris, l'argent ne m'obnubile pas à part s'il s'agit d'une mise en jeu, le sport me fatigue et mon corps contrairement à mon esprit aspire au repos, la bouffe rien que d'y penser me donne mal au coeur(il faut être français pour y penser, non?), nausée, nausée Joséphine comme chantait l'autre! L'adversaire est invisible, change de nom ou d'avatar mais est toujours le même dans mon esprit : un prolongement de soi, une entité qui devine ou pas les cartes que j'ai en main, je peux sentir ses craintes ou son assurance pourtant peu de communication entre nous à part de rares insultes ou des good luck, des good game, parfois des thanks ou plutôt leurs versions courtes "gl", "gg", "thx", juste le jeu, pas un réseau social ou je ne sais trop quel délire communautaire comme pour s'excuser de prendre son pied à jouer à un âge avancé, seul. Des actes, des cartes, des combinaisons, des erreurs, des intuitions bonnes ou mauvaises qui selon le cas vous font croire que vous êtes bon ou mauvais et ce bien plus que dans le cadre d'un simple jeu. Online, les adversaires sont disponibles à toute heure pas comme le soleil ou sa fainéante de cousine : la lune! Des vers solitaires le dévorent, à toute heure il a faim, ses viscères hurlent des images directement diffusées dans vos cerveaux, dilatant vos pupilles faisant même parfois baver vos lèvres et vous le sentez remuer en vous, marionnettiste de vos nerfs, ce jeu famélique, il vous appelle parfois dans des moments improbables, il vous empêche de vous coucher, de vous concentrer sur autre chose que sur lui, vous pousse à vous lever dès l'ouverture de la première paupière, vous fait courir pour arriver plus vite à lui, votre temps est pris en otage, il suce vos minutes, secondes et heures ne signifient plus rien, votre horloge s'arrête dès qu'il apparaît et il aspire lentement toute votre énergie afin de vous posséder dans la durée, il n'a pas de langues mais des tentacules invisibles qui vous fouettent l'âme. Les repères vacillent, vos sens se dérèglent quelque peu, même vos rêves sont infectés, rien ne semble aussi excitant que lui. Vous oscillez entre jouissance et dépit d'être asservi, oscillations inédites malgré la répétition des actions ou des parties de jeu qui parfois se ressemblent, le facteur chance est rarement en grève comme souvent avec les jeux de cartes, le jeu pousse à la superstition, à de nouvelles croyances à chaque partie qui s'avèrent être au final grotesques comme si l'esprit humain se forçait à créer du sens, à imaginer sans cesse des reliefs là où s'étend une platitude infinie mais même cette platitude n'est qu'une impression, un fruit de l'imagination qui s'en va polliniser d'autres esprits humains.

Moi-Jeu

Partager cet article